(Sur)vivre dans la ville la plus haute du monde !

Publié le 23 février 2019
Retour sur le déroulé de l’expédition par Axel PITTET

240 heures. Depuis dix jours, notre équipe de scientifiques explorateurs est toujours dans la ville la plus haute du monde, au Pérou, à 5300 m d’altitude. Difficile de s’imaginer ce que cela représente tant qu’on ne l’a pas vécu. C’est là, avec des visages marqués et des cernes prononcées, que nous continuons d’aider et d’étudier la population habituée à ces conditions extrêmes. Aux limites du corps humain, là où l’habitat permanent est considéré comme impossible, en théorie.

Si mon corps a toujours du mal à s’adapter au manque d’oxygène, je commence à prendre mes marques dans cette ville de 50.000 habitants. Je dirai même que je m’y attache et que mon regard a changé. Moins dans la surprise et davantage dans le partage. Comme souvent, ce qui fait la beauté d’une expédition, d’un voyage ou d’une épopée, c’est la rencontre. Celle qui vient offrir une histoire au décor.

Un mineur aux mains et lèvres gonflées, violacées

Derrière la science se cachent des humains. Des vies. Et des contrastes. Là où pour nous Occidentaux, habitués au confort, ce quotidien semble impensable, La Rinconada continue de grandir. Comme une ville hors du temps. Avec ses mystères et ses problématiques.

Un mineur vivant à plus de 5600m d’altitude. ©Axel PITTET – Expedition 5300

Aux abords du laboratoire éphémère, je croise un mineur, Juan Carlos, aux mains et lèvres gonflées, violacées. Il fait la queue pour rencontrer notre équipe de scientifiques. Je lui demande comment il va. J’essaie de comprendre tant bien que mal, avec mon espagnol bancal, ce qu’il décrit. Il me montre sa tête en premier puis son cœur… On finit par discuter de tout et de rien, comme deux vieux amis autour d’un verre. Juan Carlos m’explique qu’il travaille à la mine pour payer les études de droit de sa fille, à Lima. Et qu’il est plus facile de trouver du travail ici que dans les grosses villes alentours.

Alors que la neige pointe son nez, Juan Carlos et moi arrivons à l’entrée du laboratoire. Objectif : recueil des premières informations. Pour faire simple, le laboratoire éphémère est découpé en deux, avec en guise de séparation, une bâche jaune. Un peu spartiate mais cela fait l’affaire. C’est là que nos chemins se séparent et à travers une dernière poignée de mains et un regard, j’espère inconsciemment lui transmettre toute mon énergie et mon courage pour la suite.

Attentes et rencontres : incroyables sur tous les plans !

La patience des mineurs est incroyable. Chaque matin, à notre arrivée, les péruviens font la queue afin de se faire évaluer. De comprendre ce qu’ils ont. Avec leur propre histoire. Certains n’ont jamais vu de médecins ou d’aiguilles. Un monde nous sépare et pourtant, nous vivons bien sur la même planète.

Concentré, écrivant sur un papier probablement des premiers résultats, je croise le regard d’Ivan Hancco, médecin péruvien. Je me permets de lui voler un peu de temps pour connaître les critères qui sont pris en compte dans le cadre d’Expédition 5300 : des hommes, âgés entre 18 et 55 ans avec un IMC (indice de masse corporelle) inférieure à 27 qui sont nés à une altitude supérieure à 3500 m et qui vivent à La Rinconada depuis au moins 3 ans.

Après de premières évaluations, deux groupes sont créés : vingt-cinq péruviens avec un score de mal chronique des montagnes supérieur à 10 et vingt-cinq péruviens sans mal chronique des montagnes, autrement dit ne ressentant pas ou peu de symptômes particuliers liés à l’altitude.

 

Yann Savina et Aurélien Pichon avec un mineur, suite à une série d’évaluations ©Expedition 5300
Visages singuliers, pommettes gonflées, yeux globuleux : des symptômes de l’hypoxie ?

Qu’est-ce qui se joue chez les habitants de La Rinconanda ? Je les vois, assis dans ce qui ressemble à une salle d’attente. Visages singuliers, pommettes gonflées, yeux globuleux mais une expression qui ne change pas quand vous prenez le temps de leur parler : un sourire masquant la dureté de leur quotidien. Certains sont fiers d’être ici, d’autres n’ont probablement pas le choix et ne connaissent pas d’autres horizons de vie. À chaque rencontre d’un nouveau patient, je découvre un Samuel Vergès, le responsable de l’Expédition 5300, plus humain que scientifique. Un regard qui ne dévie pas lors des échanges, presque désolé de ne pouvoir répondre aux demandes de tout le monde.

Cinquante. C’est le nombre de péruviens qui pourront passer de l’autre côté de cette bâche jaune. Les autres, soit près d’un millier recevront tout de même un bilan de santé de la part des étudiants de médecine de Puno, sous la houlette du docteur Ivan Hancco. C’est cette comparaison de données scientifiques, entre deux groupes, qui doit permettre de comprendre quelles sont les différences entrant en jeu dans le mal chronique des montagnes. Dans un deuxième temps, l’analyse des données devrait amener à déterminer les solutions thérapeutiques pour aider les Péruviens à mieux vivre dans ces conditions.

Et pour nous, habitants de plaine, comment se passe l’acclimatation ?

Comme tous les matins, on se retrouve au laboratoire après une marche d’une dizaine de minutes nous faisant grimper quelques escaliers, toujours éprouvants… On traverse un petit marché où déjà, dès 7h30, les odeurs de fritures se font ressentir comme si la vie ne s’interrompait pas ici. Au sein de l’équipe, et même si l’Expédition 5300 fait corps, les visages sont quotidiennement plus creusés, les regards un peu plus fermés…

Autour de ce qui ressemble à un café, un de mes collègues lance : « Aujourd’hui, un cran de plus au niveau de la ceinture ». On rigole et on se dit que l’altitude est une bonne solution pour perdre du poids. Emeric Stauffer, médecin, m’explique que l’altitude est connue pour diminuer la sensation de faim (via la réduction d’une hormone qui stimule la faim, la Ghréline), phénomène connu sous le terme d’ »anorexie d’altitude ».  En creusant un peu, je lis même qu’une étude a observé aux États-Unis que lorsque l’altitude de résidence augmente, le taux d’obésité baisse. Pourtant, ici, les habitants sont plutôt corpulents. Un patrimoine génétique pour se protéger du froid ? Des habitudes alimentaires inadaptées ? Autant de questions à explorer…

 

Entrée d’une mine, à la recherche de l’or…

Lors d’une après-midi plus calme, Samuel et moi décidons d’aller arpenter les montagnes et de découvrir les secrets qui se cachent au-dessus de la Rinconada pendant que le reste de l’équipe se repose. C’est un autre monde qui est au rendez-vous. Plus sauvage. Probablement plus authentique. Même si après chaque pas, je sens le manque d’oxygène ronger mes muscles, mon cœur battre plus fort, l’envie d’explorer prend le dessus et nous permet de décompresser. L’hypoxie influence-t-elle le moral ? Même après dix jours, notre corps ne s’est pas adapté complètement. Les nuits pour certains restent chaotiques. L’esprit un peu ailleurs.

L’hypoxie : derrières les mythes, la réalité.

Quand je discute avec des gens de plaine, tous, sans exception ou presque, me disent « de m’accrocher », que je vais revenir avec « une caisse d’enfer ». Je crois que cela est plus compliqué. J’aime me rappeler que « c’est la dose qui fait le poison » comme l’écrivait Paracelse, un des pionniers de la médecine dès le XVIe siècle. Complexe.

Est-ce que l’accroissement de globules rouges que je produis aujourd’hui par le manque d’oxygène va me permettre d’être moins fatigué, de courir plus vite ? Pas certain. L’exposition prolongée à l’hypoxie peut être délétère. Une petite chute de notre capacité de production d’énergie due à un manque d’oxygène peut être responsable de fatigue, de défenses immunitaires altérées et de difficultés cognitives.

Tout semble donc une question de dosage. Samuel m’explique par exemple que vivre et vieillir à altitude modérée (1500 m) pourrait permettre de retarder ou de contrebalancer plusieurs pathologies et de réduire certains facteurs de mortalité. Plusieurs études ont montré qu’avec un entraînement en altitude, on peut obtenir des bénéfices supérieures (cardio-respiratoires, condition physique, composition corporelle) à un programme d’entraînement à l’effort en normoxie (en plaine).

Un mineur distillant ses secrets pour vivre en très haute altitude !
Et la réalité du quotidien…

Quoiqu’il en soit, ici, l’altitude est reine. Les habitants de La Rinconada sont conscients que quelque chose ne va pas. Mais ils relativisent et continuent à célébrer la vie. Malgré les difficultés du quotidien. Là où Anne Sauvy écrivait dans Secours en montagne (1998) que « la montagne était un mélange d’horizons concrets et réels dans les lointains de brume et de lumière – mais aussi horizons d’équilibre, d’émerveillement, de joie, de plénitude intérieure. » Elle est, pour eux, une épreuve qu’il faut affronter chaque jour et qui impose la compréhension et le respect de nous tous.

Par Axel PITTET, montagnard et responsable communication d’Expédition 5300

1 réflexion sur “(Sur)vivre dans la ville la plus haute du monde !”

  1. Gilberto Peña

    Por la envergadura y desarrollo de la Expedición 5300, los estudios serán de trascendencia e importancia en diversos parámetros de esa altitud, labor muy encomiable y con sentido humanístico. Atte. Gilbert Peña Profesor Asoc. Universidad Nacional del Altiplano Puno.

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