À la limite des possibles. Même l’imaginaire n’est pas assez puissant pour décrire l’aventure que nous venons de vivre dans la ville la plus haute du monde : La Rinconada. À 5300m d’altitude, notre équipe de scientifiques, sous la houlette du chercheur Samuel Vergès, vient d’écrire une page majeure du livre sur l’étude de l’altitude et de l’hypoxie. Des résultats qui devraient permettre des avancées conséquentes pour les habitants des hauteurs mais aussi pour ceux des plaines.
Les chercheurs, ces aventuriers…
J’ai été marqué par l’abnégation des chercheurs, bien éloignés des clichés habituels : blouse blanche, laboratoire à microscope… Mais aussi loin des critiques parfois drainés par les réseaux sociaux, où on les caricature, flânant avec l’argent du contribuable. Mais la véritable histoire est plus belle, plus éreintante aussi.
Ces deux semaines à 5300 mètres d’altitude nous ont empêché de dormir, de nous alimenter correctement. Nous avons connu le froid et un confort spartiate. Mais les chercheurs ont quelque chose de rare : la passion. Ils sont notamment épris par la complexité du monde qui nous entoure. Ils cherchent en permanence parfois sans trouver. Qu’importe : ils mettent leurs connaissances au service de l’humain.
Plus de 800 patients ont pu bénéficier d’une consultation médicale
Nombreuses sont les études qui ont montré les particularités physiologiques développées par les habitants permanents au-delà de 3500m d’altitude. Mais jamais aucune étude n’a pu scruter une population des hauteurs comme celle de La Rinconada. Reconstituer un laboratoire éphémère dans un tel lieu était déjà un exploit. Je me souviens aussi des problèmes vécu avec Samuel derrière nos ordinateurs, à basculer entre espagnol, anglais et français pour envoyer 500 kilos de matériel de pointe à l’autre bout du monde. C’était un véritable défi qu’il fallait surmonter. Et c’est chose réussie.
Plus de 800 patients ont pu bénéficier d’une consultation médicale, là où la plupart n’ont jamais vu de médecin de leur vie. 50 auront pu réaliser une série d’examens plus approfondis. Des valeurs exceptionnelles ont ainsi été recueillies : des taux d’hématocrite supérieurs à 80% par exemple, que nous autres, habitants de plaine, nous ne pourrions supporter. D’ailleurs, ces habitants rapportaient généralement des symptômes de mal chronique des montagnes avec des vaisseaux sanguins très dilatés, probablement nécessaires à l’écoulement du sang mais pouvant induire d’autres problèmes de santé.
Samuel Vergès, impressionné par ces valeurs m’a glissé dans le coin de l’oreille que de telles mesures nous conduiraient, nous, aux urgences. J’ai aussi appris avec Yann Savina et Aurélien Pichon que la dilatation de ces vaisseaux était quasi à son maximum, ne laissant que peu de marge de manœuvre au corps humain pour s’adapter à d’autres événements ou stimuli. La preuve même que nous sommes aux limites de ce que peut supporter notre corps humain…
Rester à La Rinconada, malgré tout
Derrière ces données se cachent des êtres humains qui sont conscients des risques auxquels ils s’exposent à une telle altitude. Malgré les journées plus que chargées, j’ai pris le temps de discuter avec quelques mineurs dans la salle d’attente. Pourquoi restent-ils ici ? « Pour vivre tout simplement » me répond l’un d’entre eux, assis sur la chaise, le casque solidement ancré sur la tête et les mains noircies par le travail.
A côté, Pedro, seulement 17 ans, le sourire aux lèvres, respire la jeunesse et la joie de vivre. Il m’explique qu’il vient ici pour « financer ses études le temps des vacances ».Il étudie l’architecture à Lima et rêve de découvrir la France. Quant aux autres, ceux qui naissent, grandissent et vivent aux limites de ce que peut supporter le corps humain, dans un air appauvri de 50% d’oxygène, c’est une autre histoire. Jamais vous ne les verrez se plaindre des conditions de vie. C’est nous qui le faisons pour eux. Ils sont conscients de la rudesse du quotidien et rêvent malgré tout d’une vie meilleure : 25% d’entre eux environ souffrent du mal des montagnes.
L’hypoxie : retournement de situation ?
Étudier mais aussi aider la population de la ville la plus haute du monde aura non seulement permis de se remettre en cause mais aussi d’explorer différemment le monde de l’hypoxie. La conception traditionnelle des mécanismes associés au mal chronique des montagnes suggère un lien direct entre polyglobulie excessive – autrement dit la quantité de globules rouges – et le mal chronique des montagnes. Samuel, les yeux rivés sur son tableau rempli de données, me décrit avec des pincettes des mécanismes intermédiaires qui semblent plus complexes.
Il y aurait donc d’autres facteurs qui peuvent soit permettre à des habitants de tolérer des hématocrites très élevés (probablement grâce à des caractéristiques physiques des globules rouges particulières ou grâce à des mécanismes de compensation vasculaire : dilatation importante par exemple), soit d’être responsable de symptômes du mal chronique des montagnes alors même que l’hématocrite n’est pas excessivement importante. Tout cela demandera des analyses a posteriori plus poussées lors de notre retour à Grenoble.
Après le temps de la collecte, le temps des analyses
Bousculée, la science délivrerait des secrets imprécis. Les premiers résultats devraient donc être disponibles à la fin de l’année 2019 mais à condition de récolter les fonds nécessaires. Si cette première partie du projet a pu être financée notamment grâce à du mécénat, nous sommes conscients que la suite des analyses, en particulier biologiques et génétiques, ont un coût important. 100.000 euros environ restent encore à trouver. Une somme si importante pour permettre à la recherche d’avancer et d’explorer de nouveaux possibles. Il nous faut désormais chercher et trouver cette aide.
Je m’amuse souvent à lire dans la presse un portrait triste de La Rinconada. Personnellement, j’en ai une autre vision. J’y ai vécu et j’ai beaucoup partagé avec les habitants : enfants, femmes et hommes. J’y ai pris le temps de passer de mauvais moments mais aussi de très bons. Notamment auprès de ces jeunes que j’ai vu jouer au football et qui m’ont proposé de taper dans la balle avec eux. Mais également auprès de ces travailleurs qui sont bien plus que de simples mineurs à la recherche d’or ; ce sont des personnages avec leurs histoires singulières. Je n’oublierai pas non plus ces enfants que j’ai vu jouer avec presque rien.
Tout cela grâce à cette équipe de scientifiques qui, a quelque chose en plus, et qui mérite d’être citée : Ivan Hancco, Stéphane Doutreleau, Julien Brugniaux, Aurelien Pichon, Emeric Stauffer, Mathilde Ulliel-Roche, Yann Savina, Laura Oberholzer, François Esteve, Elisa Perger, Connor Howe, Tom Bouyer sous la houlette du chercheur, responsable de l’expédition, Samuel Vergès… Merci de faire avancer la science et le monde dans lequel nous vivons. Merci de m’avoir fait une place. Il paraît que la fin n’est qu’un éternel recommencement. Cela semblerait donc ne pas être un au revoir définitif…
Par Axel PITTET, responsable communication d’Expédition 5300
Félicitations ! D’une part leur montrer qu’ils sont considérés par « ceux de la plaine » et ainsi leur témoigner la reconnaissance pour leurs efforts ! Bien sûr, ils n’ont probablement pas d’autre choix ! Aller vers eux est un geste amical de bienveillance.
Bravo à toute l’équipe !